Interview

"C'est en proposant un programme ludique aux élèves qu'ils apprennent le mieux"

Charlotte Blassel
Charlotte Blassel

Utiliser sa créativité et les nouvelles technologies pour rendre le système scolaire profitable à tous ? C’est le mot d’ordre de Fabrice Picon. Enseignant à la Sorbonne et ancien intervenant à HETIC, il partage sa vision d’une éducation qui ne fait pas rentrer les élèves dans des cases. 

Publié le 30/09/2020 — Temps de lecture 8 min

Notre système doit davantage réfléchir en terme de motivation et de travail sur des projets plutôt qu'une liste de connaissances à posséder.” Au printemps dernier, Fabrice Picon avait laissé ce commentaire sur LinkedIn, en réaction au témoignage de Yasin Karaca, étudiant en Bachelor Web à HETIC [lire son interview publiée sur HETIC Newsroom : “Dès le plus jeune âge, le système scolaire cherche à nous mettre dans une case”]. Professeur d'anglais en lycée et désormais dans l'enseignement supérieur, Fabrice Picon milite pour de l'interaction avec les élèves, qui permet de mieux comprendre et de progresser. Décuplée par les outils technologiques, la ressource principale est l'imagination.

Vous êtes-vous senti à votre place dans le système scolaire ? Comment avez-vous choisi votre voie ?

Fabrice Picon : J’ai toujours été bon élève mais je me suis souvent ennuyé à l’école. J’aurai aimé recevoir un style d’éducation différent, avec plus d’équilibre entre les activités purement intellectuelles, le travail sur des projets — ce qui n’était pas une pratique courante à l’époque — et les activités physiques. Je trouve cela dommage que l’école soit si statique. Rester toute la journée assis à écouter n’est adapté qu’à certains étudiants.

Mon parcours scolaire n’a pas toujours été linéaire. La Seconde a été une année tragique pour moi du point de vue de l’apprentissage de l’anglais et m’a amené à réfléchir sur un système scolaire qui m’a offert les meilleurs et les pires professeurs d’anglais. En Terminale, grâce à une enseignante géniale, j’ai pu participer à un échange scolaire avec une école aux États-Unis ; j’ai ainsi trouvé une véritable seconde famille dont je suis très proche. C’est ce genre d’expérience hors du commun qui est le plus enrichissant et m’a donné envie de devenir professeur.

En tant qu’enseignant, il est intéressant d’avoir eu un parcours complexe avec des phases personnelles pas simples à gérer. Cela permet de réaliser que tout ne se passe pas toujours bien dans la vie et d’aider les élèves qui en ont besoin, de les remettre sur les rails. On devient plus tolérant, je pense.

Quels ont été vos débuts en tant que professeur d’anglais ?

Fabrice Picon : Originaire de Nancy, j’ai été muté dans le Nord. J’ai pu choisir mon académie. J’ai eu beaucoup de contrôle sur ma carrière : je suis arrivé dans le lycée que je souhaitais, à 20 km de Lille. Je suis d’abord venu pour un stage. C’était une superbe expérience, dans un environnement chaleureux, je me suis vraiment senti à l’aise. J’y suis resté pendant 11 ans, avant de partir pour Paris, et j’y ai organisé des voyages pour les élèves, des échanges scolaires. Ensuite, j’ai rejoint Sorbonne Université — à l’époque, l’université Pierre et Marie Curie, devenue Faculté des sciences et ingénierie de Sorbonne — où je travaille depuis maintenant 19 ans.

D'abord professeur en lycée, Fabrice Picon enseigne depuis 2001 à Sorbonne Université, pour la faculté des sciences et ingénierie et l'École nationale supérieure des Mines de Paris. (Capture d'écran © Ipesup, School of English)

Vous avez été intervenant en anglais à HETIC au lancement de l’école, au tout début des années 2000. Votre manière d’y enseigner était-elle différente de vos autres expériences ? Qu’en avez-vous tiré ?

Fabrice Picon : J’ai enseigné à HETIC pendant plusieurs années. Je n’avais pas encore travaillé dans l’enseignement supérieur, donc je ne saurais pas comparer. C’était une expérience très intéressante, avec une administration qui a su partager son enthousiasme. Cela m’a permis de réaliser l’importance de proposer des projets et de m’adapter à des profils d’étudiants divers, pour établir ma méthode d’enseignement.

Dans les années 2000, Internet n’était pas encore populaire. En faisant des recherches et au fil du temps, j’ai découvert de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner. J’ai rapidement mis en place davantage d’interaction, pour impliquer les élèves dans le cours.

Avec la crise du Coronavirus, il a fallu adapter ce système au virtuel. Faire des appels sur Zoom de 8 heures ne permet pas d’apprendre efficacement. Je veille à maintenir l’attention des étudiants en proposant des exercices attrayants, en les laissant intervenir et en les faisant travailler en groupe, afin que personne ne décroche. Plutôt qu’une contrainte, se retrouver est devenu un plaisir pour tous pendant cette période particulièrement difficile pour nos apprenants.

Vous avez lu sur HETIC Newsroom et commenté via LinkedIn le témoignage de Yasin Karaca, étudiant à HETIC. Qu’est-ce qui vous a fait réagir ? Quelles inadéquations notez-vous dans ce système ?

Fabrice Picon : Lors de mes études, j’ai aussi eu l’impression d’avoir été “mis dans une case”. Je trouve cela terrible d’avoir une éducation très normée, figée, qui ne correspond pas aux envies et aux besoins des élèves. Chacun est différent et l’objectif en tant qu’enseignant est de s'adapter à son public. Il faut avoir une certaine ouverture d’esprit, le moins de préjugés possible. L’essentiel est de parvenir à montrer ce qu’il y a de meilleur en chacun, sa richesse en terme de personnalité, j’adore par exemple découvrir chaque année ma nouvelle classe d’élèves ingénieurs apprentis en alternance. Voir que les élèves forment un véritable groupe et trouvent une cohésion alors qu’ils ont des origines très diverses, cela met du baume au cœur et donne envie de faire toujours plus d’efforts pour eux.

Il est important de ne pas faire rentrer les gens dans des cases mais accepter leurs imperfections. Il faut établir une relation de confiance et montrer à chacun qu’il a des qualités. Même si un élève n’est pas bon en anglais, il est capable de beaucoup d’autres choses. C’est cela qu’il faut valoriser. J’encourage les étudiants à travailler ensemble même s’ils ont des niveaux différents, pour s’entraider. Je propose à mes élèves de troisième année de réaliser un court-métrage. En un seul projet, ils travaillent leur grammaire, leur culture générale, leur vocabulaire, leur créativité, leur écriture, leur jeu. Chacun a ses préférences mais s’améliore dans tous les domaines. C’est ce genre d’exercices que je me suis efforcé de développer ces dernières années : des projets ludiques qui répondent à des objectifs précis et motivent chacun des étudiants, car chacun a un rôle précis à tenir.

Avez-vous fait évoluer votre manière d’enseigner depuis vos débuts en tant que professeur ? Quelles ont été vos motivations et qu’avez-vous modifié ?

Fabrice Picon : J’ai toujours aimé ce qui était créatif. J’ai pu construire davantage de projets grâce à l’expérience que j’ai acquise et au développement des outils numériques. L’école de 1990 et d’aujourd’hui a un point commun : l’imagination. La seule différence vient des moyens à notre disposition pour lui donner vie. Les nouvelles technologies permettent beaucoup plus de diversité, il y a énormément de logiciels et de sites qui peuvent être utilisés à l’école. L’important pour moi est de savoir impliquer les élèves. Eux comme moi doivent “faire le show” en cours, ne pas hésiter à le rendre dynamique. Je cherche toujours à faire un lien entre l’anglais et un domaine qui les intéresse — des films, des histoires. Il ne faut pas avoir peur de sortir des cours classiques, au contraire. C’est en proposant un programme ludique aux élèves qu'ils apprennent le mieux.

Depuis novembre 2019, Fabrice Picon dirige la “School of English” d'Ipesup, un organisme privé de préparation aux concours. Tous les formats sont “hybridés” : présence et téléprésence, séances académiques et ateliers pratiques. (Capture d'écran © Ipesup, School of English)

Le numérique est en train de modifier nos vies. Cela va-t-il conduire le système scolaire à être davantage en adéquation avec le monde du travail ?

Fabrice Picon : HETIC essaie déjà d’être au plus près du travail professionnel, en enseignant les compétences et les logiciels les plus utilisés. Cependant, proposer une éducation en phase avec les entreprises pose un problème : il faut faire évoluer le contenu très régulièrement pour qu’il réponde à leurs attentes du moment. C’est une course contre la montre que l’on perd souvent. L’environnement évolue trop vite et les compétences apprises à l’école sont déjà presque obsolètes quand on en sort. C’est pour cela que rien ne peut remplacer la formation faite par les entreprises et l’acquisition en amont d’une souplesse et d’une capacité à apprendre et se renouveler. En cela, je trouve l’apprentissage un système particulièrement adapté, car il permet de découvrir la réalité du monde du travail en parallèle des études. Une école doit aider les élèves à acquérir des compétences techniques et pratiques mais aussi à prendre du recul. Avoir de la culture générale permet d’avoir une plus grande ouverture et donc de s’adapter plus facilement au monde professionnel par la suite.

Qu'est-ce que les enseignants pourront apporter de plus, que ne ferait l’apprentissage en ligne ?

Fabrice Picon : Désormais, tout peut se faire en ligne. Mais s’il y a bien quelque chose dont nous avons besoin et qui n’est possible qu’en présentiel, c’est le contact humain. Les jeunes sont contents de se retrouver à l’école. Un enseignant, contrairement à un site, peut apporter son vécu, partager des conseils qu’il a acquis avec de l’expérience. Cet aspect relationnel est essentiel à tous et Internet ne peut pas le remplacer. Les applications sont un bon complément d’enseignement, pour apprendre quand on le veut. Mais il faut aussi des projets, des interactions pour mieux comprendre et progresser. Tout n’est pas numérisable. L’idéal serait de continuer à enseigner en présentiel pour ceux qui le peuvent, tout en travaillant avec des outils numériques et en proposant occasionnellement des cours à distance. Pour faire face aux logiciels et aux sites, les enseignants doivent plus que jamais aimer leur métier, impliquer leurs élèves et tout faire pour les aider à trouver leur voie.