Interview

Rendre ludiques et intelligibles des données à l'aide de la dataviz

Nour Mechitoua
Nour Mechitoua

Chaque année, les étudiants de 2eme année du cursus Grande Ecole ont pour mission de réaliser une dataviz [visualisation de données] sur le sujet de leur choix et de mettre en valeur un jeu de données brutes. Sélectionner les données, les illustrer dans une expérience immersive...qu'est-ce que la dataviz ?

Publié le 14/12/2020 — Temps de lecture 5 min

Victor Baissait, héticien de la P2015 et intervenant en dataviz, nous explique cette discipline et comment la dataviz permet de prendre des décisions et résoudre des problèmes.

Qui est Victor Baissait, l’héticien venu nous parler de Dataviz ?

Victor Baissait : Titulaire d’un bac L suivi de deux ans d’histoire de l’art à l’université, je suis un héticien de la P2015 qui s’est ensuite spécialisé en data et dataviz.
Je ne suis pas un data scientist mais je sais ce que c’est, parce que HETIC m’a permis d’ouvrir mes horizons. De plus, je fais énormément de veille.
Je suis Data Evangelist : j’aime transmettre mes connaissances et c’est ma passion, tout en démystifiant ce qu’est la dataviz et le BigData.
C’est devenu le nouvel or noir, comme l’était le mot chatbot [agent conversationnel] il y a quelques années. Il faut donc l’expliquer et montrer l’importance de la pluricompétence nécessaire pour cette discipline : je suis parfois devant des étudiants en art qui ne connaissent pas l’HTML mais aussi devant des étudiants en programmation informatique qui n’y connaissent rien en design.

D’où vient la dataviz à l’origine ?

Victor Baissait : Il faut savoir que la data et la dataviz sont des domaines extrêmement larges et on ne peut pas tout aborder mais ce qui est intéressant à noter c’est qu’on fait de la dataviz depuis les années 1800.

On a résolu une épidémie de choléra grâce à une dataviz de John Snow vers 1850. On manipule de manière malveillante la data depuis les années 1495 avec le traité Tordesillas qui coupe le monde en deux où chaque partie trafiquait les cartes pour avoir des droits sur un territoire donnée. Par exemple, le Brésil a été rapproché de l’Afrique par le Portugal. Ce sont des cartes volontairement faussées et on le sait aujourd’hui.

Quelles sont les différences avec l’infographie ?

Victor Baissait : Une infographie part du même principe mais on la retrouve plutôt dans les journaux, c’est utile pour présenter des faits de manière plus basique. C’est moins narratif et moins immersif mais tout aussi visuel.

Le développement web permet-il d’entrer plus facilement dans le monde de la dataviz ?

Victor Baissait : La dataviz nécessite de travailler sur deux aspects : le design et le développement.
Le design compte énormément : on a beau être le meilleur développeur, si on rend pas les choses intelligibles et si on ne place pas les éléments de manière intuitive, c’est-à-dire s'il faut faire 50 clics pour accéder aux informations, personne ne viendra regarder votre travail. Il faut donc réfléchir à l’agencement des éléments. Mes compétences en front [développement web frontal] m’ont permis de le comprendre. C’est important de mettre les mains dans le cambouis et ne pas seulement être la personne qui raconte ce qu’il se passe.

Victor Baissait donnant un cours de dataviz à des étudiants en design (© Victor Baissait)

 

La dataviz est plutôt utilisée dans un but d’analyse et d’étude ou pour montrer et rendre un visuel ?

Victor Baissait : Cela dépend, on le fait surtout quand on a énormément de données qui ne sont pas compréhensibles, ou alors seulement dans un rapport de 50 pages. Le but est de rendre leur lecture plus ludique et compréhensible.
L'important n’est pas de faire quelque chose juste pour faire quelque chose, il faut que cela soit construit et que l’on puisse apprendre des choses.

Un exemple que je prends souvent quand je parle aux étudiants : on a des briques et elles sont en désordre. Si, en cinq secondes, je leur demande la couleur dominante, les gens vont être incapables de le voir parce que c’est un tas et que le cerveau n’aime pas le désordre.
Par contre, la même question avec un tas organisé va produire plus de réponses car, en un clin d’oeil, tout le monde peut évaluer une quantité ordonnée. Ce sont les mêmes données, cette fois-ci elles sont simplement triées.
Pour parvenir à ce résultat, il y a plusieurs solutions. Certaines sont aussi équivalentes et d’autres sont parfois moins bonnes, voire mauvaises.

Cette manière de faire aide-t-elle dans la prise de décisions stratégiques ?

Victor Baissait : Oui bien sûr ! Ce sont des techniques qui peuvent permettre de mieux comprendre les choses.
Notamment avec la BigData [traitement de millions de données] lorsque l’humain ne peut pas prendre une décision seule. On va alors utiliser un ordinateur pour construire des modèles pour comprendre.
L’intelligence artificielle est un outil qui permet, en plus de la dataviz, de comprendre et donc de prendre des décisions.

Peut-on conclure que la dataviz est donc fortement liée au Big Data ?

Victor Baissait : En effet, on peut faire de la dataviz sur des petites données comme un festival de musique avec seulement vingt artistes, mais on préfère le faire sur des gros jeux de données comme l’élection américaine de 2016 avec Facebook.
Dans un premier temps il faut trier la donnée afin de lui donner un sens, savoir ce que l'on peut obtenir comme conclusion, puis la rendre intelligible et esthétique pour l’audience.

Comment se fait le choix des données à un public choisi ?

Victor Baissait : Un problème qui arrive souvent quand le client arrive et qu’il a son jeu de données déjà prêt, c’est qu’il n’a pas forcément réfléchi à ce qu’il aimerait avoir comme dataviz.

Par exemple, les canaux d'Amsterdam ont été nettoyés il y a quelques années. La ville a décidé de collecter les données de chaque objet récupéré (photo, datation, origine…) et en ont fait une dataviz.

Souvent, les gens ne pensent pas aux données qu’ils voudraient avoir et le but va être de les challenger pour savoir ce qui peut être fait ou non.
Il faut donc penser à ce dont on a besoin en amont.

Victor Baissait expliquant une dataviz datant de 1870 sur les églises aux Etats-Unis d'Amérique (© Victor Baissait)

 

Comment aider les gens avec des millions de données à trier ? Comment éviter les limites d’une intelligence artificielle au modèle biaisé?

Victor Baissait : Par exemple Amazon voulait faire des coques de téléphone avec les images les plus recherchées. Le résultat fourni est principalement des images de personnes qui se droguent, d’autres qui posent du carrelage ou qui font de la musculation, etc.

Il faut toujours vérifier le résultat issue d’une IA [Intelligence Artificielle]. Ici c’est drôle, mais ça peut parfois être extrêmement raciste et aller jusqu’à identifier des personnes noires comme des gorilles. La technologie peut aussi être dangereuse. Le seul moyen d’éviter ça, est de constamment vérifier le modèle et surveiller les résultats produits.